Valable dans les quotidiens de chacun, cette petite phrase aux apparences anodines l'est nettement moins à bord d'un bateau en voyage en période cyclonique.
Comme l'année dernière où nous avions opté pour Trinidad et Tobago, cet été encore nous avons décidé de nous éloigner de la zone géographique définie comme ''à risques''. Cette région évolue d'un site à l'autre, d'un contrat d'assurance à l'autre...
Préférant se fier plus aux faits qu'aux théories, nous avons choisi cette année de passer le pic de la période à Curaçao.
Si l'on étudie l'historique des trajectoires de cyclones, aucun n'a jamais touché cette île. De plus, on en a déjà parlé, le lagon intérieur de Spanish Water est un abri idéal, si toutefois...
Et, il a suffi que Ti'Amaraa soit sur zone pour que le ''toutefois'' fasse des siennes.
Dans le dernier article le 20 septembre, alors que nous étions prêts à lever l'ancre vers la Colombie, on émettait déjà des réserves quant à une perturbation atlantique et un coup de vent prévu vers le 29/30 septembre.
Nous étions à 10 jours de l'éventuel coup dur. Il y avait toutes les chances que ce soit une fausse alerte.
Deux jours plus tard, patatras ! Les modèles de prévisions météorologiques dessinent une énorme dépression enroulée de type cyclone avec une trajectoire droit sur nous à 8 jours.
On a beau se dire que c'est trop tôt pour se prononcer, que c'est certainement pessimiste, qu'il reste du temps et que pleins d'autres hypothèses d'évolutions sont possibles, il n'empêche que nos esprits focalisent sur les plus de 70 nds (près de 140 km/h) de vent annoncés sur Curaçao.
- C'est PAS PO.SSI.BLE !!!! Y a jamais eu de cyclone ici !!!
Sans vouloir jouer les Calimero, on se dit quand même qu'on n'a pas de bol pour le coup.
Les prévisions de pressions atmosphériques descendent en emportant notre moral.
Que faire ?
On ne peut être mieux qu'à Spanish Water pour accueillir une vilaine bestiole.
Oui mais, s'il y a vraiment le vent annoncé voire plus, rien ne tient bien nulle part lorsque ces forces sont en jeu. Par le passé, il y a malheureusement des antécédents de tempêtes prévues transformées en vilains cyclones en quelques heures.
Deux options s'offrent à nous:
- Rester et se préparer à gérer ces 24 à 48 heures de pluies diluviennes et de fort vent.
- Déguerpir vers la marina colombienne où une place nous attend.
Un nouveau conseil d'administration extraordinaire du bord est organisé.
Si on zappe vers la Colombie, on oublie les mouillages intermédiaires et le tourisme. On trace direct et on sera à quai avant le dit passage.
Sauf qu'il y a ce week-end là plus de 25 nds de vent sur le Cabo Vela et de la houle. Pas idéal du tout...
Aussi , partir au large dans cette région déjà atypique point de vue navigation avec un hypothétique cyclone sur les talons ne nous enchante guère.
La problématique du jour:
Entre la peste et le choléra ?
La conclusion du jour:
Attendre et si sous deux jours la configuration à plus de 60 nds sur Curaçao est maintenue, on s'en va. Tant pis pour les conditions de navigation au Cap. Quite à être secoués, autant avancer.
Jour après jour, nous téléchargerons les fameux fichiers gribs, suivrons les prévisions et surtout les extrapolations de trajectoires.
L' intermède ''WiFi à terre/météo '' est devenu rituel. On y croise nos voisins eux aussi le nez dans leurs smartphones à déchiffrer des barbules colorées.
Les trajectoires évoluent doucement dans le bon sens pour nous en s'écartant vers le nord.
Décision est donc prise à l'unanimité (même Léon), on reste à Curaçao. Ça ne va peut-être pas être une partie de plaisir mais c'est ce qu'il nous semble le plus sage.
Est-ce la bonne décision ?
L' avenir nous le dira. Nous l'avons prise ensemble, nous gèrerons ensemble.
Lundi 26, soit à 72h de son arrivée sur l'arc antillais, les modèles font encore frôler les moustaches de la dépression de notre position. Plus de 40 nds en rafales sont annoncés.
Nous avons déjà vécu plus de 50 au mouillage plusieurs fois. On sait qu'on tiendra même si ça ne va pas être drôle.
Ce n'est que mardi 27 que les trajectoires prévisionnelles nous redonnent le moral. La DT97, c'est son nom 97ème Dépression Tropicale, incurverait nord. Plus elle monte, plus elle s'éloigne et plus la bordure est gérable. Nous n'aurions plus qu'une trentaine de noeuds et un peu moins de pluie.
Nous voilà rassurés bien que hyper vigilants pour les jours à venir avec ces phénomènes tout peut changer très vite.
Ti'Amaraa est préparé en conséquence. Les vélos retrouvent leurs housses et leur cale. Tout est rangé, ficelé. Les toiles de soleil remplacées par le tour de cockpit. On rajoute quelques dizaines de mètres de chaîne.
Le plein du groupe électrogène est fait. (on devrait pas trop voir le soleil pendant au moins 3 jours)
Tous les voisins se préparent . Les bateaux sont à bonne distance.
Les niveaux de préparation reflètent l'ambiance du bord. Certains dégréent leurs voiles (tout de même !), d'autres en revanche, en mode no stress, laissent toutes leurs toiles de soleil en place (tout de même !).
Le champion du voisin qui te fout le bourdon alors que tu es serein: celui qui dégrée Grande Voile et lazy bag, qui ficèle son bateau comme de la rosette, qui grée sa voile de tempête, qui sort le moteur de son annexe, qui double sa pâte d'oie et on en passe....
Heuuuu...On a vu la même météo ?
Mercredi 28, les courbes de vent nous annoncent des rafales ne dépassant plus les 25 nds sur Curaçao . HIHAAAAA. Mais la bête rode toujours au large avec des prévisions à plus de 100 nds !!! La pluie arriverait en fin de nuit, à priori moins intense que prévue mais pour plusieurs jours car des foyers orageux s'étendent sur plus de 1000 km à l'arrière de la dépression.
Au matin, la DT97 est passée nord Barbade avec des vents d'une quarantaine de noeuds. À midi, le centre est passé sur la pointe sud de Sainte Lucie. C'est bon pour nous !
La grande famille de la mer se serre les coudes. Chacun transmet ses ''paramètres''.
En Gwada, ils sont prêts. Ça barde déjà en Martinique. Il pleut à Grenade mais ils gèrent. À Tobago, ça balance aussi. Aux Saintes, la mer est forte. Les amis aux USA et en métropole s'inquiètent pour nous.
Heureux d'être de la génération des navigateurs connectés dans ce genre de cas. Merci à vous tous.
Tout porte à croire que nous avons pris la bonne décision et que l'on devrait échapper aux plus violents sévices de la bête, qui, c'est officiel, est à présent une tempête prénommée Matthew.
Ti'Amaraa est prêt à entrer dans la danse et nous aussi.
Mercredi soir, nous y voilà. Il fait presque 38 degrés. Il y a très peu de vent et l'on s'oriente doucement au nord avec la brise. Ce soir, le coucher de soleil ne s'invitera pas dans le cockpit. Nous allons faire un 360 autour de notre ancre les jours à venir. Ça démarre en douceur, le premier temps de la valse selon Monsieur Brel certainement.
Allez Matthew, envoies la musique !!!
Jeudi 29 :
La Martinique vient de passer une nuit arrosée et ventée (jusqu'à 160 km/h). Une grande partie de l'arc antillais a été impacté par les effets de vent, de houle et les pluies diluviennes. Des creux de plus six mètres sont enregistrés dans les canaux. Gloupsss... Contents d'être loin. La tempête avance doucement vers l'ouest.
Nous nous réveillons sur un lac. Depuis la veille au soir, nous n'avons plus de vent. Tout est aspiré au nord par l'ogre. La configuration type lagon de Spanish Water nous évite aussi tous les effets de houle du large. S'en est presque beau malgré la grisaille, les grains qui rincent notre pont périodiquement et les dix degrés perdus au matin. Ouchhhh il ne fait QUE 28!!! Ça caille :-)
Vite un thé, un t-shirt, un short à manches longues !
Zut! Où a-t'on bien pu ranger le poêle à bois pour la soirée châtaignes ?
Ti'Amaraa et ses compagnons d'escale continuent leurs chorégraphies orchestrées autour de leurs ancres. Lorsqu'au bénéficie d'une éclaircie, nous descendons nous connecter, nous chargeons les dernières prévisions de trajectoires car nous savons que Matthew n'en a pas fini avec nous. Nous attendons encore beaucoup de pluie au moins jusqu'à samedi accompagnée d'une reprise du vent (maxi 25 nds). On ne peut pas rester à zéro noeuds indéfiniment. Quoique... on s'y habitue plutôt bien?!
La tempête devrait passer à environ 300 km au droit de notre position en soirée ou en cours nuit.
On apprend aussi que le père Matthew va en profiter pour passer du stade de tempête à celui de cyclone catégorie 1 puis catégorie 2 dimanche. Il devrait alors être loin. Tant mieux pour nous ! Dur pour les Grandes Antilles, les Bahamas et peut-être la côte américaine. L' affaire n'est pas finie.
Ainsi s'égrainent les heures de la journée sur notre lac impassible . Le coucher de soleil est face à nos étraves à présent. Le ciel est affreusement beau. Il est scindé en deux mondes. Sur bâbord, il est dégagé parsemé de quelques moutons blanc. Sur tribord, on discerne clairement la bordure d'une énorme masse nuageuse grisâtre. À la nuit tombée, cet Himalaya laiteux est rendu encore plus effrayant par les flashs lointains de foudre qui illuminent l'horizon d'encre.
Le deuxième temps de la valse est passé en grand confort.
Restons prudents.
Vendredi 30:
Nous avons eu beau veiller aux grains.
Rien ! Pas une goutte d'eau de toute la nuit !
Un léger souffle d'air de sud et un rayon de soleil nous accompagnent au petit déjeuner.
Matthew est passé en grande discrétion et l'on ne s'en plaint pas.
Ti'Amaraa finit docilement son 360. Le régime normal de l' alizé d'Est se rétablit.
Aurons nous finalement un peu de pluies les jours à venir ?
Peu importe.
Ça, c'est fait
Merci Curaçao d'offrir gratuitement un tel abri aux navigateurs. La tentation pourrait être grande d'installer des bouées.
Chapeau ! Encore un bel espace de liberté croisé sur notre route.
À prèsent, nous allons pouvoir reprendre le cours de notre programme. Enfin presque, juste le temps de laisser la colère de la mer des Caraïbes se calmer.
Une houle résiduelle contraire à notre route de presque 6 mètres agite le Cabo de la Vela ! OK, on va attendre.
Nous en sommes restés à la valse à trois temps au mouillage, pas envie de connaître celle à mille temps en navigation même si nous avons hâte de décoller à présent.
Merci les fichiers gribs, les modèles météo, les applications ainsi que les sites et pages Facebook spécialisés dans les prévisions cycloniques. Prendre une décision lorsque l'on est armés, c'est tout de même mieux.
Les données que l'on peut télécharger sont certes de plus en plus fiables et précises. Depuis plus de deux ans à présent, nous avons appris qu'il faut être prudents et ne pas laisser de place à la panique lorsque les prévisions sont à plus de 6 jours. Cependant, la tendance à 10 jours est un élément capital pour ne pas commettre d'erreurs.
La peur est mauvaise conseillère. Le sens marin doit l'emporter.
Notre règle:
Être au bon moment au bon endroit.
Pour le moment, ça ne nous réussit pas trop mal. Pourvu que ça dure...
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