Friday, August 19, 2016
Dans le bleu Épisode 2: Los Aves
Et ça continue...
Un bon 20/25 noeuds de vent établi, au portant de surcroît, allez zou... Cap sur Los Aves.
Une fois de plus, l'Imperator Parasailor reprend du service et nous fait défiler les 30 nm en 3h30 dans un grand confort.
Comme on disait dans notre vie 1.0 de terriens motards: "On a bien rouléééé !"
Alors que nous rangeons nos voiles au droit du phare avant de se diriger vers le mouillage, nos regards sont attirés par une grosse masse noire à fleur d'eau pile sur notre route.
Nous nous retrouvons nez à nez avec deux énormes tortues Luth de plus 3 mètres d'envergure ... en pleine copulation. Vous nous excuserez, entre la surprise de la rencontre et la pudeur face aux ébats de ces animaux semblant avoir survécu aux dinosaures, nous n'avons pas eu le réflexe ''photo''.
Quel comité d'accueil !
On nous avait dit que Los Aves étaient encore plus belles et plus sauvages que Los Roques. Ça commence bien !!!
Et puis le temps s'est arrêté.
Sur ces îlots vierges, il n'y a rien de ce qui conditionne la vie des humains: pas d'eau douce, pas de civilisation, pas de restos, pas de commerces , pas de téléphone ni d'internet...
Sauf qu'in fine, aux Aves, il y a tout !
Tout pour vivre naturellement dans un écrin préservé qui semble ne pas avoir connu la moindre modification hormis celles imposées par les Éléments depuis des décennies.
Pleinement associés à nos sens, nous nous ouvrons à l'intensité de ce moment.
Le plan d'eau se décline en une mosaïque de cyans digne des plus beaux tableaux impressionnistes.
À terre, la mangrove est le berceau de centaines de nids de fous, de sternes ou de pélicans.
Pas besoin de téléobjectifs ni jumelles, en kayak comme en annexe, on les approche à les toucher. Pour ces animaux, l'Homme est une espèce animale en voie d'apparition. Elle ne représente aucun danger et suscite même leur curiosité.
(au grand désespoir de notre pont mitraillé régulièrement de résidus digestifs volants)
De même sous l'eau, la multitude de poissons coralliens ne se sent pas agressée par nos intrusions.
La définition de la symbiose doit avoir été créée sur ces eaux.
Sous réserve d'avoir un bateau autonome en eau et en électricité, on peut passer des semaines d'anses turquoises en anses vert d'eau à vivre du fruit de notre pêche. Poissons, lambis, burgots et langoustes comme apport proteiniques de la quinzaine.
Nous n'avons toutefois prélevé à la Nature que nos besoins alimentaires. Nous ne serons que trois bateaux sur zone pendant 15 jours, autant dire que notre ponction est infime face à la profusion de vie sous nos coques.
La tentation pourrait toutefois être grande de faire des conserves ou de congeler. Pour nous, ainsi que pour nos compagnons d'escale, c'est HORS de question !!!
Les hommes privilégient les langoustes ou poissons plus âgés pour laisser les plus petits vivre en paix. Lorsque nos frigos affichent ''complets'' pour les deux/trois prochains jours, le fusil harpon est remisé.
À certains moments, on a l'impression d'être en mode préhistorique, les hommes partent à la chasse. Les femmes s'occupent du foyer. Enfin, on a zappé l'épisode guerre du feu et âge de pierre, c'est sur la plancha sur Ti'Amaraa, en zarzuella sur Seayousoon ou en langoustes party à l'armoricaine sur Afrodite que nous nous régalerons tous ensemble des offrandes de Neptune.
Ainsi coulait la vie de trois couples français sur leurs bateaux... jusqu'à ce matin là ...
Il n'est pas 8 heures, nous émergeons tranquilou devant nos biscottes quand une lancha (bateau rapide venezuélien) se dirige rapidement droit sur Ti'Amaraa. Les bateaux copains sont ancrés un peu plus loin.
Les 6 gaillards du bord nous interpellent.
''Gloups... Ils nous veulent quoi?"
À travers le bruit du moteur puissant, on capte un mot: Regalo
Cela signifie cadeau.
Au premier abord, on comprend qu'ils veulent qu'on leur donne des cadeaux. Ils ressemblent plus à des pêcheurs qu'à des pirates... Mais au fait, ça ressemble à quoi un pirate ?
Ils sont à présent au ralenti à quelques centimètres de nos jupes et nous font signe de leur faire passer notre sceau.
''Quoi ? Ils veulent ça comme cadeau ?... Bizarre, ces pirates, non ?!"
Nous avions tout faux. Ceux sont EUX qui veulent nous faire un cadeau!
En quelques secondes, notre sceau déborde de 7kg de poissons de récifs frais: carangues, blanches, pagres...
Ils ont le sourire: heureux de nous offrir le fruit de leur travail.
Comment les remercier ? Ils ne veulent rien en échange. Au contraire, ils s'excusent presque car les prises sont petites et nous promettent de repasser en fin de journée avec du plus lourd.
On arrive à leur faire passer un peu d'eau fraîche et du chocolat. Ils sont aux anges, et nous scotchés!
Nous sommes bien au Venez ? Là où l'on risque notre vie et où il faut éviter tout contact avec les lanchas ?
En soirée, ils reviennent comme promis, mais à trois uniquement . Les bras chargés d'une langouste de 2,5 kg, d'un barracuda d'un bon mètre, d'une grosse carangue et de divers poissons coralliens. C'est énorme !!! Plus de 5 kg de chair !!!
Nous ne voulons pas accepter. Ils insistent en nous expliquant qu'ils ne veulent ni argent, ni cadeaux...
Leurs sourires nous font céder, nous les invitons à boire un rafraîchissement à bord. Leurs yeux s'illuminent dès qu'ils montent. C'était ça !!! La curiosité... Le bateau, qui sommes nous, notre vie sur l'eau... Ils débordent de questions et sont contents de voir des étrangers dans leur pays en crise.
Ils nous demandent deux services : Visiter Ti'Amaraa et Seayousoon et pouvoir prendre des photos.
Non, sans blague ? Et dire que certains nous croient en danger sous ces latitudes.
On se régale à échanger tous ensemble de nos vies entre fin d'après-midi sur Seayousoon et pause café le lendemain matin sur Ti'Amaraa.
Ils nous confirment qu'il ne faut ABSOLUMENT pas s'approcher de Margarita, de Caracas et de la côte orientale. La vie dans l'arrière pays, surtout côté Colombie est bien meilleure mais la dévaluation de la monnaie complique le quotidien. Certains produits comme le sucre sont inexistants dans tout le pays. De même, le manque de médicaments est criant.
Leurs campagnes de pêche aux Aves durent 10 jours. Ils sont 8 dans l'eau de 7h du matin à 19h. Ils cohabitent sur un petit îlot dans un baraquement ouvert aux 4 vents avec 200 litres d'eau douce pour seule ressource. Un bateau récupère régulièrement leurs prises pour les ramener au frais à Bonaire ou sur le continent pour 3us$ du kilo. Certains comme Manuel et Harold ont un boulot à terre, et viennent aider Luis le propriétaire du bateau pendant leurs congés.
Ils ne nous demanderont rien. À force de discuter, nous essayons de deviner ce qui pourrait leur faire plaisir car nous ne pouvons nous quitter ainsi. Avec Seayousoon nous concoctons un petit ''colis'': Gâteaux, chocolat, sucre, gel douche, produits d'hygiène et cigarettes les rendent heureux.
Il y a des rencontres qui vous touchent au coeur.
Ils n'ont rien et ils vous donne beaucoup.
En s'aventurant en dehors de sa zone de confort, on découvre que la vie a plus d'une seule facette.
Los Aves ne devait être qu'un passage potentiellement ''dangereux'' sur le chemin pour Bonaire, nous y avons rencontré de belles personnes généreuses.
Jamais nous n'avons eu d'escales aussi sereines... à laisser, pour la première fois depuis notre départ, porte et capots de pont ouverts le temps de nos absences. Qui l'aurait cru ?
À Sotavento au mouillage, nous avons même eu la visite des Cost Gardes, cinq hommes à bord (dont un armé) charmants et souriants.
À la différence des quelques échanges avec des douaniers tricolores aux Antilles, ici on ne vous parle pas comme à un délinquant en puissance. On vous demande la permission de monter à bord, on propose de se déchausser pour ne pas salir, on s'intéresse à vous, on remplit des formulaires, on partage un café et tout ce passe dans la bonne humeur. Nos interlocuteurs nous rappellent même qu'ils sont en veille H24 sur VHF 16 au cas où nous ayons le moindre problème.
On croit rêver. Cherchons bien....où avons nous été si bien accueillis ?... pour 0,00 € de clearance...
Aux Aves, nous sommes aussi venus à la découverte d'un lieu bien précis. Lors de nos années de lecture de blogs, il était question d'un lieu sur une des îles, un mausolée légendaire pour navigateurs de passage.
Était ce toujours d'actualité ?
Kho Lanta n'a rien inventé. Les totems de Los Aves de Bartolavento existent bel et bien.
Tel le trésor de bateaux fantômes chargés d'or des canaux patagoniens, l'information se passe de Capitaines en Capitaines. Grâce aux conseils d'Afrodite nous avons donc pu sans mal trouver l'entrée cachée dans la mangrove.
Dès le débarquement du dinghy, on observe suspendus aux branches des stigmates laissés par nos prédécesseurs: une tête de barracuda séchée, des coquillages décorés ...
En mode petit Poucet, nous suivons les marques d'un chemin qui se dessine vers l'océan.
Elles sont là.
Toutes les traces des navigateurs passés.
Dans l'enchevêtrement hétéroclite d'objets, on lit des noms connus: Eolis, Étoile de lune, les Batocousins...etc...
Certains ont laissé un objet du bord. D'autres ont, de leurs mains créatives, décorés des galets, des coquilles de lambis, des morceaux de bois...
Nous nous en approchons avec la circonspection d'un antiquaire qui vient de dénicher une précieuse relique.
Comme nous avons planté des drapeaux et des cairns en haut de sommets népalais ou pyrénéens, cette île sud des Aves se présente à nous comme un point de passage important de l'aventure.
Le ciel étincelant de la soirée est propice à la méditation: plus de 7000 miles nautiques parcourus (soit près de 14 000 km), notre vie riche de rencontres, quel va être notre avenir ?
Si jusqu'à présent nous n'avions jamais trouvé de lieu adhoc où laisser une trace de notre passage, cette découverte à résonner comme une évidence pour nous deux: la clôture de l'épisode Atlantique et l'ouverture vers de nos nouveaux horizons.
Non sans une certaine émotion, nous passerons des heures à préparer notre totem.
De la récupération d'un bois flotté sur la côte au vent, à la confection d'un pochoir, au gravage de la matière, à quatre mains, nous avons retranscrit l'âme de Ti'Amaraa que nous souhaitions laissé au souffle de l'alizé de l'océan.
Si vos étraves vous mènent vers ces îles, l'adresse de notre Tiki est sur l'Isla Sur à la position: 11'56.7080 N 67'256194 W.
Quant à l'entrée ''secrète'', c'est par là... Mais chuuut :
11'56.7578 N 67'25.6235 W
Et puisque les informations manquent sur cette escale et que la cartographie est assez imprécise, voici les points GPS de nos mouillages :
- 11'56.765 N 67'25.838 W
- 11'56.836 N 67'25.1740 W
- 11'56.729 N 67'26.302 W
- 11'58.191 N 67'28.6360 W
- 12'3.55 N 67'41.264 W
- 12'3.504 N 67'40.656 W
Le décor des mouillages alterne. Tantôt un rideau de palétuviers géants, tel un écran barrant le vent d'Est, offre un mouillage paisible entourés de la faune locale: fous, sternes, frégates, tortues, raies...
En d'autres lieux de longs croissants dorés parsemés de palmiers semblent s'étendre à l'infini, grignotés par les timides vagues du lagon, assagies par la barrière de corail qui ronronne au loin.
Aux îles Aves de Sotavento, le coucher de soleil est unique. Au delà de la belle lente déclinaison de l'astre de feu dans l'océan, au delà du ciel qui délaisse son bleu profond pour des teintes rouge-rose-orangées criardes, le spectacle est offert par les habitants de ces îles: les oiseaux (Los Aves dans la langue de Cervantes). Ils sont par centaines au dessus de nos têtes, une véritable fourmilière. Dans un ballet aérien précis accompagné de la mélodie de leurs piaillements, ils virevoltent en provenance du large, se rejoignent à l'horizon puis se regroupent pour passer la nuit à terre où ils nichent à même le sol sans crainte de prédateurs...ni des Hommes. Nettement moins effrayants que ceux d'Hitchcock, nous passons de longues minutes à observer ce que nous offre la Nature.
''Sinon, la télé... Ça ne vous manque pas ?"
Pendant des jours et des jours, nous avons eu ce bassin de navigation saphir pour domaine, les alizés pour calendrier et le soleil pour montre.
Snorkelling, kayak, pêche, lecture, contemplation, baignades et partages de bons moments pour activités.
Issus d'une époque hyper connectée, nous avons vécu tels des pionniers cette sensation délicieuse de ne pas être rattrapés par les ondes.
Nous avons savouré le privilège de ce retour à une vie sauvage... confortablement installés dans notre maison itinérante.
Ti'Amaraa signifie Liberté. Nous l'avons retrouvée ici.
Nous vous souhaitons de pouvoir vivre vous aussi en dehors du temps un temps.
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Escales
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